jeudi 7 août 2008

Estrade

Le maître sur l’estrade, les élèves un étage plus bas, dans la classe.

D’un côté – et en bas - la classe, l’ignorance, la rébellion possible, la jeunesse. De l’autre – en face et en haut d’une marche – l’estrade, le tableau noir et la craie blanche de la connaissance. Et à droite, le coin de la honte – le pilori où étaient exposés les punis -. Plus haut encore – d’une marche au moins – dans le demi contrejour de la fenêtre qui l'auréolait de lumière -, le siège et la table du maître : maître de la connaissance, de l’ordre et de l’autorité !

L’estrade était un mirador d’où un maître chasseur ou geôlier menaçait son gibier de potence.
Une chaire de vérité, d’où devaient s’écouler le miel de la connaissance et la lumière de la compréhension des choses.
L'autel chrétien des sacrements pour le bon élève en même temps que celui, païen, du sacrifice humain pour le mauvais.
Un banc des accusés, où montait la victime pour des interrogations qui pouvaient tourner à l’interrogatoire.
Le pilori du seigneur des lieux, y exhibant le dos de l’ignorant, du malchanceux ou du bouc émissaire à la populace. Cruelle pour la victime ou craignant pour son propre sort, la classe saurait bien en retenir quelque leçon.

Il y avait bien une révolution à faire dans l’école !

mercredi 6 août 2008

Derniere guerre

Ils nous parlaient d’une autre époque. Ils disaient que c’était juste avant, pendant, ou juste après la dernière guerre !

Ils parlaient tous de la dernière guerre ! Mais de laquelle ? De celles d’Irak ou d’Afghanistan ? De laquelle de toutes les guerres israélo-arabes ? Ou bien des guerres de libération ? Et que faisaient-ils encore de celles de Corée, du Vietnam, du Cambodge ? De toutes celles qui ont fait éclater la Yougoslavie ? Pour eux, sans aucun doute : la dernière guerre, c’était celle de 40-45.
Mais ils avaient de qui tenir. La génération qui les précédait n’en avait, dans ses bouches depuis longtemps édentées, que pour la « der des der ». Celle de 14-18, la grande guerre comme ils disaient aussi, devait arrêter le cycle de la violence. Tant de boucherie aurait suffi enfin à combler tous les appétits de sang et de chair à canon. On sait ce qu’il en est advenu.
Pensée magique ? Certains ont repris le flambeau de la myopie. Cherchez sur internet : « dernière intifada », « dernière guerre du golfe »… et vous en trouverez qui n’ont pas appris vraiment. Qui croient peut-être arrêter les chars et les bombardiers avec les seules lettres d’un adjectif. Eponger les rivières de sang avec les pages des dictionnaires.
Je crains qu’ils oublient un peu vite que dernier ne se conjugue vraiment bien qu'avec cigarette et verre... et pour autant encore qu'il s'agisse de ceux d’un condamné !

mardi 5 août 2008

Cartes magiques en relief

Vous les aurez sans doute déjà vues, ces cartes magiques, en relief ou animées. Aujourd’hui, elles semblent kitsch. Alors, elles avaient un véritable air de modernité.

Pour le relief, nous n’avions pas vraiment le choix.
La stéréoscopie, presque aussi vieille que la photographie, restait bien vivante, grâce au Viewmaster et à Walt Disney… Mais elle exigeait de s’appliquer sur les yeux le dispositif adéquat.
L’hologramme n’était pas encore inventé. Et il faudrait longtemps encore pour qu’il se généralise, puis se banalise.
Nous restait donc la carte magique. Soit qu’elle tente de donner l’illusion du mouvement (en la tournant, l’animal ou le personnage changeait de position) ou du relief (les différentes vues présentaient le même objet sous différents angles). Les sujets étaient les plus stupides : une fille qui clignait de l’œil… une plage dont les palmiers se balançaient… une perruche sur son perchoir… Rien d’étonnant à ce qu’ils le soient devenus plus encore : la vierge Marie dans la grotte de Lourdes et autres sujets religieux semblent avoir aujourd’hui pris l’exclusivité sur cette technique !

lundi 4 août 2008

Bouchon de porcelaine

Comme le Weck, le bouchon de porcelaine avait son anneau de caoutchouc orange ou rouge. Mais il avait ce petit plus, ce petit bruit que faisait la ferraille en s’ouvrant ou se fermant.

Les bouteilles de vin étaient bouchonnées. Rien d’étonnant.
Celles de lait étaient capsulées. Mais il est vrai qu’aujourd’hui on n’achète plus le lait en bouteille. Certaines bouteilles de bière – les petits modèles seulement - aussi.
Mais la plupart portaient ces bouchons de porcelaine qu’on ne trouve plus que dans les boutiques design et sur quelques marques de bières étrangères. Les amateurs les recherchent en brocante et bientôt ils seront sans doute dans les vitrines des musées !
Le bouchon de plastique était inconnu.

dimanche 3 août 2008

Artis

Avec les albums Artis, ce n’était pas seulement de la lecture qu’on s’offrait.

D’abord, il y avait les joies de la collection de timbres. Parcourir les emballages des produits à la recherche du précieux point qui pourrait nous manquer. Veiller peut être à se faire aider par des amis, des voisins, de la famille. Les rassembler ensuite – c’est fou comme ce genre de petites choses a tendance à se trouver n’importe où, dans le vide poches du salon, le tiroir de la cuisine, l’armoire de la salle à manger, parce qu’on n’a jamais vraiment décidé de l’endroit où il faudrait les ranger ou, qu’au moment de les récolter, on n’a ni le temps ni l’envie de faire l’effort d’un déplacement -. Les trier et les compter ensuite. Jusqu’à avoir le nombre de points requis.
Ensuite le plaisir du voyage. Jusqu’au centre Artis, à Verviers je crois. Le bus d'abord. Puis un long trajet à pied. Pour y échanger la précieuse récolte contre les albums et leurs images. Précieusement enrobées de papier cristal. A pied à nouveau jusqu'à la gare. Puis le bus encore.
Pour suivre, celui du bricolage. Que ma mère se réservait. Consciente que, si elle nous laissait agir, le résultat final risquait - au mieux - d’être médiocre. Et tout l’effort de la collection et l'argent perdus. Enduire le bord de la photo de colle blanche. L’appliquer précautionneusement à sa place réservée. Et passer à la suivante.
Associé à celui de l’odorat. Car ma mère utilisait de cette colle blanche semi-solide, délicieusement parfumée. Qui fleurait la vanille, ou quelque chose de similaire.
L’extase de la découverte enfin. Celle des images surtout. Que les livres illustrés d’aujourd’hui n’égalent pas nécessairement. Le texte d’un côté. L’image de l’autre. De ce texte aussi. Auxiliaire précieux pour les élocutions à venir. Un seul album Artis nous donnait toujours matière à au moins un exposé pour l'école. Suffisait pour toutes les explications... débordait de trop d'illustrations.
Croyez-moi. Je les ai tellement relus que je n’étais pas loin de penser que j’avais vraiment voyagé au Siam, au Népal et dans tant d’autres régions du monde.

samedi 2 août 2008

Zeros

« Liberté, liberté, tes zéros sont arrivés » - Les poppys.

Les enfants n’entendent peut-être pas bien les paroles des chansons, mais ils semblent avoir de l’humour.
C’est mon petit frère à qui l’on demandait ce qui lui ferait plaisir – il devait avoir commis un acte exceptionnel, à moins qu’il n’ait été particulièrement malade ou que ce ne soit son anniversaire – qui a demandé le 45 tours des zéros.
Avis donc aux héros et candidats au martyre : avant de vous lancer dans la carrière, prenez un instant et voyez la manière dont les gosses vous tiennent en considération ! Peut-être changerez-vous subitement d'avis.

vendredi 1 août 2008

Bleu de méthylene

L’infirmière du collège avait un truc infaillible pour distinguer les faux malades des vrais : le bleu de méthylène !

Collège catholique oblige, elle n’avait rien d’une pin-up, rien qui risque d’échauffer les sangs des élèves. Sans parler de celui des quelques curés qui y vivaient encore - quand leur goût ne leur faisait pas préférer les jeunes garçons -. Chargée de la bonne santé de la population, mais surtout de veiller à chasser les resquilleurs. Il est vrai que les maladies se déclaraient souvent le matin d’une interrogation, ou celui d’une activité physique redoutée : un cross dans la neige, un travail de bucheronnage avec les ainés de l’école, un devoir pas fait ou une leçon pas apprise.
Simuler la fièvre n’était pas vraiment dans nos cordes. Trop aléatoire. La vieille fille ne nous aurait laissé aucune chance à ce petit jeu. Et sans nul doute aurait-elle été capable d’inventer quelque remède cent fois pire que la corvée que nous voulions éviter. Nous étions souvent téméraires, fous jamais !
Alors, quel que soit le mal, il fallait ouvrir grand la bouche, laisser voir notre gorge – il est vrai, admettait-elle – un peu rouge. Garder la bouche ouverte, juste par sécurité… Et elle de saisir une longue pince d’acier, avec la pince un bout d’ouate, de l’imbiber de bleu de méthylène, et de nous en badigeonner le fond de la gorge.
Le plus souvent, la maladie s’en arrêtait là. Si le traitement était déjà aussi cruel pour un mal qui n’existait que dans ses propres yeux rougis par la vieillesse et la solitude, qu’allait-elle imaginer pour les vrais maux ? Nous retournions à notre interrogation ou aux autres corvées. Soupirant, tentant de nous faire plaindre du professeur et de nos copains, mais certains en tout cas d'avoir de justesse échappé au pire. Sincèrement plaints même par certains enseignants qui savaient ce que nous venions d'endurer. N'aurions-nous pas été souffrants avant cette visite funeste, nous l'étions à coup sûr après !
Pendant une longue année, toute la semaine durant, j’ai donc soigneusement évité d’être malade. Et je dois reconnaître que, le jour où mes copains m’ont amené à elle les yeux gonflés par un jet de formol, le sens de l'urgence - et peut-être l'impression de vivre enfin un instant d'exception - lui a heureusement dicté d'éviter de suivre son protocole habituel. Me soignant pour ce que j’avais réellement plutôt que de veiller à entretenir une réputation déjà bien établie par plusieurs générations d'élèves.
L’année suivante, atteinte par la limite d’âge, elle n’était plus là.