La mort nous était somme toute familière : quand quelqu’un décédait, il était de coutume de lui rendre une dernière visite, et de le revoir une dernière fois avant qu’il ne disparaisse.
Mourir n’était pas moins triste, ni moins dur qu’aujourd’hui. Mais nous ne craignions pas alors que la vue d’un mort nous ferait le moindre mal !
S’il arrivait que le défunt soit exposé dans sa chambre à coucher, c’était souvent la première – et la dernière – occasion d’entrer aussi loin dans son intimité. Et même dans le salon, les quelques personnes qui l’entouraient avaient l’air de composer une famille : de plus jeunes et de plus vieux, des hommes et des femmes, liés intimement – au point de pouvoir cohabiter avec son cadavre – à celui qui n’était déjà plus là.
C’était pour nous, les gosses, l’occasion de détailler enfin un visage qui n’était déjà plus familier ! D’y voir alors certains éléments dont nous doutions parfois qu’ils aient été présents du vivant de leur porteur. D’oser regarder enfin sans crainte quelqu’un qui nous faisait peur de son vivant.
Dans la pénombre, seulement éclairée par quelques bougies – qui parfumaient doucement l’atmosphère de leur blanche odeur de cire – et par l’une ou l’autre lampe masquée de voiles, il nous venait des bâillements, et une envie irrésistible de nous asseoir. Ces veillées duraient toujours trop longtemps à notre goût. Nous aurait-on proposé de nous coucher dans un coin ou de nous assoupir dans un fauteuil, nous n’aurions pas résisté bien fort !
Même plus âgé, j’ai goûté à sa juste valeur de ce dernier instant passé avec des êtres plus ou moins chers. Et si j’ai appris à les redouter aussi, je ne peux que regretter que la coutume s’en soit perdue. Après un tel ultime face à face, je me suis toujours trouvé apaisé. Comme s’il était plus facile de consciemment laisser partir quelqu’un dont on voit le visage… que d’abandonner à de sombres projets de pourrissement ou d’incinération une caisse fermée dont on ne connaît pas le contenu avec certitude !
mardi 23 septembre 2008
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