samedi 21 juin 2008

Colombophilie et batellerie

Barcelone, ciel dégagé, lâcher à cinq heures trente. Bordeaux, couvert, les convoyeurs attendent.
Grands malades, trois poutrelles levées ; Hastière, deux vantelles ouvertes.
Les disques choisis, la météo marine, les communiqués colombophiles et ceux pour la batellerie me manquent !

Les cérémonies religieuses avaient leur litanie des saints – Saint Charles… Priez pour nous ! Sainte Martine… Priez pour nous ! Saint Quirin… Priez pour nous ! - ; les cérémonies patriotiques leur litanie des héros – Camille Lemaire… Mort pour la patrie ! François Bovesse… Mort pour la patrie ! Clément Hubert… Mort pour la patrie ! -. La radio avait les siennes !
Les disques choisis ? De Martin pour Viviane, à l’occasion de son anniversaire. De bon-papa José pour sa petite Monique à l’occasion de sa communion. De tonton Louis pour sa nièce préférée… De Lulu pour Bertha : merci pour ton cadeau. Et ça continuait. Dix, quinze personnes avaient choisi le même disque – très quelconque la plupart du temps -. Et la présentatrice lisait ces messages l’un après l’autre. Comme pour enfiler un chapelet de personnes. Ou pour en faire une chanson. Au point que l’on écoutait celle qui suivait de manière distraite. Seul importaient ces noms, toutes ces personnes qui, d’une certaine manière, passaient à la radio.
Les communiqués colombophiles, eux, comme ceux pour la batellerie nous faisaient voyager. Loin avec les pigeons : Nantes, Bordeaux, Amiens… Bien plus près avec les bateaux : Hastière, le canal Albert… Et là aussi, c’était comme une chanson qui disait le voyage. Toute une géographie et une poésie de lieux connus ou pas. Les pigeons qui reviennent. Qui arriveront ou pas au pigeonnier. Les bateaux qui s’en vont, qui partent ou qui passent.
C’était enfin, avec ces derniers, une langue mystérieuse. De poutrelles et de vantelles, qui pouvaient être levées ou abaissées, ouvertes ou fermées ! Et cela semblait être important. Comme des messages codés de radio Londres. Le brouillage en moins !

vendredi 20 juin 2008

Italie et Espagne

D’Espagne ils ramenaient une affiche de corrida à leur nom, d’Italie du verre de Murano. Ceux qui partaient en vacances.

Les vacances ? La plupart préféraient faire le carnaval, et tout le budget loisirs de l’année y passait. Envoyer leurs enfants en colonie de vacances ? Ils n’y pensaient même pas.
Les autres. Ceux qui avaient encore de quoi après le carnaval. Ils regardaient vers le Sud. Ignoraient la France. S’arrêtaient en Italie – qui n’était donc pas seulement le pays d’où venaient nos immigrés – ou en Espagne – où ils fermaient les yeux sur les horreurs de la dictature de Franco -. L’année suivante, ils y retourneraient. Chaque année en Italie. Ou chaque année en Espagne.
Le plus étrange : à part les arènes, l’Espagne, c’était juste une plage, la mer. L’Italie, une plage, la mer aussi. Et la côte belge ? Une plage, et la mer. Mais c’était moins loin, et moins prestigieux !

jeudi 19 juin 2008

Hans Krouf

Si tu n’es pas sage, Hanskrouf va venir te prendre !

Hanskrouf, Hans Kruff, Hans Truff ? C’était le père fouettard chez nous !
Saint Nicolas était terrible évidemment – pour ceux qui y croyaient – puisqu’il ne récompensait que les enfants sages. Et quel enfant pouvait-il prétendre avoir toujours été sage ? Et l’on aurait volontiers voulu nous terroriser à l’idée de rencontrer son assistant.
Qui n’avait pas grand-chose pour lui. Il était noir, à une époque où tout le monde ici était blanc. Il avait – du moins dans certains coins de la Belgique – ce nom à consonance allemande, à une époque où l’évocation de la guerre, et de la cruauté des Allemands, était encore dans tous les esprits. Le père fouettard avait pour lui son qualificatif et ses outils – bâton ou martinet – alors que les châtiments corporels étaient encore d’application dans les écoles et plus encore dans les familles.
Mais au bout du compte, il finissait par nous être bien sympathique. Au moins, il bougeait. Il paraissait vivant, et c’est lui qui faisait tout le boulot de distribution ; Saint Nicolas se contentant de prononcer des âneries qui démontraient qu’il ne nous connaissant pas plus que ça et qu’il s’en foutait complètement.
Et si le père fouettard était chargé de punir, qui pourra prétendre l’avoir jamais vu faire ! Il se contentait de rouler de gros yeux blancs dans sa face noircie. De plus, derrière ses dehors terribles, il semblait qu’il soit un joyeux drille. La preuve ? L’arrivée du bateau de Saint Nicolas aux Pays Bas, que nous avions tous vu à la télévision. Des pères fouettards – qui a dit que les Hollandais ignoraient la démesure ? -, il y en avait des dizaines… se balançant dans les cordages. Et ça ne manquait jamais. Au moins un tombait à la flotte. Ajoutant à l’ambiance de fête et à l’absence de sérieux du personnage.
On voulait nous faire peur avec Hanskrouf, comme avec les histoires d’ogres et de loups. Pas plus, pas moins.
Mais, dans le même temps, personne ne trouvait bizarre à l’époque qu’un monsieur tripote toute la journée des petits garçons et petites filles sur ses genoux !
Et au fait. Je me rends compte maintenant. Il était bien un moment où l’on proclamait : « Je ne crois plus à Saint Nicolas ! »
Bizarre, je n’ai jamais entendu personne dire : « Je ne crois plus au père fouettard ! »

mercredi 18 juin 2008

Galapiats

On n’est plus le même homme après avoir subi, de 63 à 66 Thierry la fronde et en 69 les Galapiats !

Les Galapiats. Je me demande franchement qui a pu les inventer.
Le club des cinq – pardon si vous ne connaissez pas, c’était dans la collection verte, ou rose – revus à la sauce post soixante huitarde – c’est Jean-Loup je crois qui à la fin du feuilleton regarde Marion, qui va retourner au Canada, avec des yeux de hareng saur, pour lui exprimer combien elle va lui manquer -.
Le ridicule ne tuant absolument pas, à la fin, on comprend enfin pourquoi il fallait un cow-boy dans la bande. Bruno, dit Cow-boy, sauve le chef des bandits en le tirant d’un marais – la fagne mangeuse d’hommes ! – avec son lasso.
Il tue encore moins le réalisateur qui a choisi d’utiliser des lieux de tournage tellement connus des téléspectateurs belges (l’abbaye de Villers la Ville, Beersel, Stavelot, les Hautes fagnes) qu’on ne pouvait qu’éclater de rire quand au bout d’une course de 100 mètre l’un ou l’autre héros débouchait 100 ou 150 kilomètres plus loin !
Et enfin, il y avait évidemment une chanson générique. Inoubliable. « Ohé les gars, c’est nous, l’aventure nous attend » ou quelque chose du style.
Du grand art je vous dis !

mardi 17 juin 2008

Fagne mangeuse d'hommes

Les hautes fagnes sont dangereuses. On s’y perd. On s’enfonce dans leurs tourbières. On s’égare dans les brouillards et les tempêtes de neige. La fagne est une mangeuse d’hommes !

Il y avait bien les vieilles histoires. Celle de la croix des fiancés – de celles qui finissent mal, dans la nuit et dans la neige – de la chapelle Fischbach et de la baraque Michel – et de la cloche qui devait permettre au voyageur égaré de retrouver son chemin -. Mais tout cela datait de bien avant la naissance de mes grands-parents. Nous n’avions pas plus peur de nous perdre en fagne que de rencontrer le loup du chaperon rouge quand nous parcourions les bois ! Il fallait que cela change !
En 1969, le feuilleton « Les galapiats » y contribua. Le mauvais tombe dans les tourbières et ne doit son salut qu’à l’intervention du cow-boy de service. Les tourbières, c’est en effet terrible ! La marée du Mont St Michel, comparée aux tourbières, ce n’est rien du tout. On se fait avaler en moins de deux. En plus, il y a des plantes carnivores ! Ce n’est sans doute pas pour rien. Avec toute la viande de touristes perdus qui s’y trouve…
Vers la même époque aussi, il faut noter la contribution remarquable de l’université de Liège à une plus juste et plus complète connaissance de l’endroit. Un groupe d’étudiant s’est en effet perdu, en hiver. Perdus pour perdus, au lieu de suivre les vallées – vers les villes – ces idiots ont tenté de rejoindre leur point de départ. Ils furent retrouvés, frigorifiés, dans la nuit. La petite histoire racontait qu’ils n’avaient dû leur salut qu’à un étudiant vietnamien qui avait emporté de la viande séchée (gardée à même son corps, prétendait la rue).
Un feuilleton kitsch… une bande d’idiots en balade… et toute la confiance que nous pouvions avoir dans la fagne s’effondrait – pour les plus crédules en tout cas -. Et la légende est tenace.
Mais, au moins, elle a le mérite de garder la plupart des promeneurs sur les sentiers balisés et d’en tenir éloignés les moins téméraires ! Continuez donc à raconter ces terribles histoires. La fagne vous en sera reconnaissante !

lundi 16 juin 2008

Elisabeth (Reine)

La mémoire me joue des tours. J’étais persuadé que la reine Elisabeth était morte en 66 ou 67.

Sûr et certain que j’étais alors en troisième primaire, dans la classe de monsieur Vaneste. En haut de l’escalier à gauche, avec la vue sur la cour de récréation. Eh bien non. C’était le 23 novembre 1965. Dans une autre école, celle du quartier des grands prés. Et avec un autre instituteur, monsieur Bragard.
Mais ce qui est sûr, c’est qu’on a découpé une photo, qu’on l’a collée dans notre cahier – un de ces grands cahiers quadrillés je crois, à couverture souple, vert d’eau ; recouvert de papier bleu -. Qu’on a tracé des lignes, sur la photo, comme pour figurer un mortuaire. Que ce devait être au cours de religion. La photo ? Celle de la veille sur son lit de mort. Macabre ? On ne le ferait plus aujourd’hui ? Eh bien, à l’époque, ça se faisait. Et ça ne gênait personne.
Allez-donc me dire pourquoi c’est juste ce souvenir là qui me revient ? Celui d’une reine que nous ne connaissions pas, sauf par les dessins de nos livres d’histoire, tout pleins encore de l’exaltation de la figure du roi Albert - 1er évidemment ! -. Sans doute parce que, en ces cinquante années qui viennent de passer – en coup de vent – c’est bien la seule reine qui soit morte. Des rois ? Il y en a eu deux (Baudouin et Léopold). Des papes ? J’en ai vu une flopée : j’ai juste raté Pie XII d’une semaine ! Et puis Jean XXIII, Paul VI, Jean Paul I et II. C’est dire si les morts de papes, ça me connaît !
Mais, pour en revenir à Elisabeth, ce qui me réjouit, c’est qu’on a oublié sa guerre ! Alors qu’elle nous était présentée comme la seule guerrière vivante – mortes les Gabrielle Petit, Edith Cavell et autres Mata Hari ; ignorées de tous les résistantes, vivantes, de la seconde guerre mondiale -. Et qu’on ne retient plus d’elle que son amour de la musique. Bel héritage finalement… vous ne trouvez pas ?

dimanche 15 juin 2008

Dinitrol

Dinitrol, Rutex, simoniser… et quand ça ne suffisait pas, le mastic, ou pire, changer le plancher. La rouille était la hantise de l’automobiliste.

A peine sa voiture achetée, le propriétaire filait au garage pour faire traiter le châssis. Il y retournait tous les deux ou trois ans pour un traitement de fond, un nettoyage, des injections.
Mais, peine perdue, au bout du compte, la rouille venait quand même. S’attaquait au châssis. Rongeait le plancher, la carrosserie. Par temps de pluie, on roulait les pieds dans l’eau. Et quand on y regardait bien, on pouvait voir la route défiler sous soi… Les garde-boue se faisaient la malle. Les plus petits trous étaient soigneusement traités, au mastic. Les plus gros se couvraient d’autocollants : Standard champion ! Cercle royal mandoliniste. Malmundaria. Un tigre Esso. Et d’autres encore. Plus la voiture pourissait, plus elle se couvrait d’illustrations.
Jusqu’au jour où le contrôle technique prononçait le verdict définitif. L’engin était bon pour la casse !
La rouille, c’était la peste. C’était le cancer. Et si certains y survivaient, aucun n’y échappait.