mercredi 30 juillet 2008

Les portes du penitencier

C’était du temps de Ceausescu.

Nous avions, je crois, débarqué du côté de Chilia Veche – sur le Nord du delta du Danube -, et on reprendrait le bateau à Sulina – sur les rives de la mer Noire -. C’était en Roumanie, du temps de Ceausescu, il y a 30 ans au moins.
Avec une bande de copain, nous nous étions enfoncés dans le delta. Dans la benne d’un tracteur, qui faisait transport public. Jusqu’à un village plus loin. A proximité des marais. Et des oiseaux sauvages. Nous campions au cœur du village, sur un espace ouvert, qui devait servir à tout. De place du village parfois, de terrain de foot, de salle de bal même.

La nuit tombée, les musiciens sont arrivés, et les danseurs. Un joueur de grosse caisse, l’autre d’accordéon. Je ne sais lequel a commencé. Ce devait être la grosse caisse : boum-boum, boum-boum, boum-boum. Comme un cœur qui bat. Boum-boum, boum-boum, encore et toujours. Puis l’accordéon de démarrer sur « The House of the Rising Sun » (Les portes du pénitencier pour ceux qui préfèrent Johnny Halliday), et de continuer sur le même air, sans fin. Les portes du pénitencier et le boum-boum du tambour dans la nuit du delta… Enfin, les danseurs qui s’y mettent. Quelques femmes, et bien trop d'hommes, chaloupant deux à deux – mais ils ne devaient pas être bien nombreux – dans leurs pauvres vêtements de paysans communistes. Piétinant doucement le sable de la piste de danse improvisée.
La nuit était totale. Et le village n’avait aucun éclairage. Ce bal improvisé non plus. Dans ma tente, la valse de l’accordéon - jouant et rejouant sans fin le même morceau -, le grondement de la grosse caisse, le frôlement des danseurs que l’on devine, ont servi de berceuse à un sommeil lourd, si lourd.

Leur danse était aussi sincère et pathétique que celle de l'ours enchainé et muselé par le Rom. Marchant tristement sur les routes de l'Est derrière la carriole à deux roues des nomades.

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