L’infirmière du collège avait un truc infaillible pour distinguer les faux malades des vrais : le bleu de méthylène !
Collège catholique oblige, elle n’avait rien d’une pin-up, rien qui risque d’échauffer les sangs des élèves. Sans parler de celui des quelques curés qui y vivaient encore - quand leur goût ne leur faisait pas préférer les jeunes garçons -. Chargée de la bonne santé de la population, mais surtout de veiller à chasser les resquilleurs. Il est vrai que les maladies se déclaraient souvent le matin d’une interrogation, ou celui d’une activité physique redoutée : un cross dans la neige, un travail de bucheronnage avec les ainés de l’école, un devoir pas fait ou une leçon pas apprise.
Simuler la fièvre n’était pas vraiment dans nos cordes. Trop aléatoire. La vieille fille ne nous aurait laissé aucune chance à ce petit jeu. Et sans nul doute aurait-elle été capable d’inventer quelque remède cent fois pire que la corvée que nous voulions éviter. Nous étions souvent téméraires, fous jamais !
Alors, quel que soit le mal, il fallait ouvrir grand la bouche, laisser voir notre gorge – il est vrai, admettait-elle – un peu rouge. Garder la bouche ouverte, juste par sécurité… Et elle de saisir une longue pince d’acier, avec la pince un bout d’ouate, de l’imbiber de bleu de méthylène, et de nous en badigeonner le fond de la gorge.
Le plus souvent, la maladie s’en arrêtait là. Si le traitement était déjà aussi cruel pour un mal qui n’existait que dans ses propres yeux rougis par la vieillesse et la solitude, qu’allait-elle imaginer pour les vrais maux ? Nous retournions à notre interrogation ou aux autres corvées. Soupirant, tentant de nous faire plaindre du professeur et de nos copains, mais certains en tout cas d'avoir de justesse échappé au pire. Sincèrement plaints même par certains enseignants qui savaient ce que nous venions d'endurer. N'aurions-nous pas été souffrants avant cette visite funeste, nous l'étions à coup sûr après !
Pendant une longue année, toute la semaine durant, j’ai donc soigneusement évité d’être malade. Et je dois reconnaître que, le jour où mes copains m’ont amené à elle les yeux gonflés par un jet de formol, le sens de l'urgence - et peut-être l'impression de vivre enfin un instant d'exception - lui a heureusement dicté d'éviter de suivre son protocole habituel. Me soignant pour ce que j’avais réellement plutôt que de veiller à entretenir une réputation déjà bien établie par plusieurs générations d'élèves.
L’année suivante, atteinte par la limite d’âge, elle n’était plus là.
vendredi 1 août 2008
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