jeudi 25 septembre 2008

Bouillon

Autant boisson que nourriture, le bouillon était le bienvenu en hiver.

Boit on encore du bouillon ? Qui demande encore un OXO ou un Viandox au sortir de la piscine ou au coin du marché ? Et qui se contenterait à quatre heure d’un cube Maggi dans une tasse d’eau chaude, seulement accompagnée d’une biscotte ? Mais n’est-ce pas la soupe elle-même, et le sens même du souper avec elle, qui ont perdu nos faveurs ?
Ne laissons évidemment pas croire que le bouillon serait un sommet de gastronomie dont nous aurions tort de nous priver. C’est tout juste l’occasion de quelques plaisirs qui me manquent parfois.
Par exemple. Celui de décider de boire tout le liquide d’abord, pour manger à la fin, pommes de terres, légumes, voire le morceau de viande que contenait le bouillon. Ou bien l’inverse… patiemment pêcher un an un tous les éléments solides pour ensuite – bruyamment si possible – vider son bol de bouillon encore chaud comme on le ferait d’une boisson quelconque. Sans oublier la variante du bouillon clair... que l'on épuise biscotte par biscotte. Ne laissant à lapper finalement qu'un ridicule fond parsemé d'écailles brunes.
Et puis aussi, aller à la découverte de trésors que seul le bouillon a jamais contenus : des vermicelles – assez banal -, de minuscules lettres en pâte – comme s’il s’agissait d’un liquide magique dans lequel aurait trempé un journal ou un dictionnaire, quelle histoire veut-il donc nous raconter, ou une formule magique, comme le font les marabouts africains -, et, miracle entre tous, y trouver des billes de tapioca – comme de minuscules œufs de grenouilles, quoiqu’en bien plus appétissant ! -.
Confort enfin, quand le corps n’en peut plus de froid et d’humidité, de se réconforter avec autre chose que du caféiné ou du sucré. La légère amertume du bouillon brisée par la biscotte que l’on y trempe. Le salé et le chaud qui s’écoulent dans notre gorge et nous ramènent à la vie. On n’en a pas moins faim après, mais au moins se sent-on prêt à passer à la suite. Même s’il s’agit de retourner vers le froid d’une marche hivernale, de jeux dans la neige ou d’un bucheronnage pluvieux !

mercredi 24 septembre 2008

Acier froid

Le quai de la gare de Verviers sentait l’huile et l’acier froids. L’acier froid surtout !

Si certaines gares disent le passage, d’autres ont vocation de terminus. Celle de Verviers était de ces dernières. Et bien qu’un tunnel la traversait de part en part – qui devait bien mener quelque part, vers un plus loin et un autre ailleurs – on avait l’impression que le monde s’y arrêtait, tant il y faisait sombre, et qu’il semblait impossible d’imaginer plus sombre encore !
Le hall proclamait un glorieux passé qui ne vivait plus que dans l’esprit embrumé des plus vieux de ses habitants. Glorieuse architecture vantant les mérites des artisans lainiers de jadis. Mais la ville était morte. Les usines fermées. Les artisans depuis longtemps partis, retraités ou morts. Seul le buffet dégageait encore un peu de chaleur et invitait à rester un instant encore. Juste le temps de sauter dans le prochain train… ou de s’en aller avec le prochain bus.
Et puis sur le quai cette odeur typique, de roues raclant les rails, de freins arrêtant les trains, de caténaires perclus d’humidité, d’ombre et d’âge. L’on respirait à courtes inspirations des morceaux entiers de locomotives, des mètres de rails. Et ce n’était pas vraiment désagréable. Un peu comme ces tabacs de pipe, parfumés au miel ou aux épices, dont on traverse la fumée en se retenant : d’inspirer trop fort, au risque de capturer avec le miel, toute l’amertume… et d’expirer trop vite, pour garder un instant encore les notes magiques. Ou comme ces parfums qui surgissent au passage d’une dame… et qu’il ne sert à rien de tenter de respirer encore: juste d’en garder, un instant encore, le peu qu’on a pu en capturer.

mardi 23 septembre 2008

Visiter les morts

La mort nous était somme toute familière : quand quelqu’un décédait, il était de coutume de lui rendre une dernière visite, et de le revoir une dernière fois avant qu’il ne disparaisse.

Mourir n’était pas moins triste, ni moins dur qu’aujourd’hui. Mais nous ne craignions pas alors que la vue d’un mort nous ferait le moindre mal !
S’il arrivait que le défunt soit exposé dans sa chambre à coucher, c’était souvent la première – et la dernière – occasion d’entrer aussi loin dans son intimité. Et même dans le salon, les quelques personnes qui l’entouraient avaient l’air de composer une famille : de plus jeunes et de plus vieux, des hommes et des femmes, liés intimement – au point de pouvoir cohabiter avec son cadavre – à celui qui n’était déjà plus là.
C’était pour nous, les gosses, l’occasion de détailler enfin un visage qui n’était déjà plus familier ! D’y voir alors certains éléments dont nous doutions parfois qu’ils aient été présents du vivant de leur porteur. D’oser regarder enfin sans crainte quelqu’un qui nous faisait peur de son vivant.
Dans la pénombre, seulement éclairée par quelques bougies – qui parfumaient doucement l’atmosphère de leur blanche odeur de cire – et par l’une ou l’autre lampe masquée de voiles, il nous venait des bâillements, et une envie irrésistible de nous asseoir. Ces veillées duraient toujours trop longtemps à notre goût. Nous aurait-on proposé de nous coucher dans un coin ou de nous assoupir dans un fauteuil, nous n’aurions pas résisté bien fort !
Même plus âgé, j’ai goûté à sa juste valeur de ce dernier instant passé avec des êtres plus ou moins chers. Et si j’ai appris à les redouter aussi, je ne peux que regretter que la coutume s’en soit perdue. Après un tel ultime face à face, je me suis toujours trouvé apaisé. Comme s’il était plus facile de consciemment laisser partir quelqu’un dont on voit le visage… que d’abandonner à de sombres projets de pourrissement ou d’incinération une caisse fermée dont on ne connaît pas le contenu avec certitude !

lundi 22 septembre 2008

Truite

Le poisson, vous l’avouerez, est meilleur quand il est frais ! Nous allions donc acheter nos truites à la pêcherie, de l’autre côté de la ville.

Manger une truite devenait tout un rituel, qui commençait bien avant le repas.
La décision prise par ma mère, il fallait prendre son vélo, et rouler quelques kilomètres dans la vallée. En amont toujours, au pied des collines de Géromont, dans un vallon se trouvait la pêcherie. La commande faite, le propriétaire s’éloignait vers les viviers, un seau à la main. Il en revenait porteur de sa récolte qu’il exécutait devant nous. Quelques belles truites arc-en-ciel qui finiraient bientôt dans notre assiette.
Et de retour à la maison – quelques kilomètres en descente plus loin - il serait encore temps de continuer la leçon de choses : parcourir du doigt les peau couverte de mucus… sentir la râpe des dents et de la langue… palper la chair ferme et jauger de la souplesse de l’animal…
Au bout du compte, la dégustation n’était qu’accessoire. Tant tout ce qui précède était passionnant et exceptionnel !

dimanche 21 septembre 2008

Poux

Comment se fait-il que nous n’avions jamais de poux ?

Aucune école aujourd’hui n’est épargnée. Chacune à son tour appelle ses élèves, parents et professeurs à participer à la grande campagne d’éradication du petit nuisible !
Bizarre. Je ne me souviens pas qu’il ait jamais été question de poux lorsque j’étais gamin ! Seulement bien plus tard, lorsque j’avais déjà quitté la ville. Pas un enfant rasé. Pas un rappel dans les cartables. L’air de rien, avec notre bain hebdomadaire, et nos vêtements que l’on changeait au même rythme, nous ne devions pas être si sales que cela !

samedi 20 septembre 2008

Westminster

En plus du tic-tac, lent mais incessant, de l’horloge, il y avait, toutes les heures le rituel du carillon Westminster : on se serait cru sur les bords de la Tamise.

Il y avait aussi l’odeur du tabac froid, ou celle du pas vraiment propre. Une odeur de vieux qui vivent tout seuls.
Le lenteur du tic-tac disait celle des occupants de la maison. Qui se laissaient tout doucement glisser vers le néant. Surtout quand aucun enfant, ni petit-enfant, n’était jamais là pour casser la routine.
Il y avait aussi – le plus souvent – sur la cheminée l’une ou l’autre posture – c’est ainsi qu’on désignait les statues – d’un goût douteux, et au mur, un cadre souvenir d’une très ancienne excursion – à la cascade de Coo peut-être et pour les plus aventureux jusqu’à Lourdes et ses miracles -.
Et sur l’appui de fenêtre, cachées à moitié par les voilettes, quelques plantes en pot : de ces horribles plantes grasses surtout, en lame de couteau, qui n’ont d’autre élégance que d’être toujours vertes ! Quant au chien de la maison, il était mort depuis des décennies, que ses propriétaires n’osaient pas remplacer, de peur de le laisser seul un jour.

vendredi 19 septembre 2008

Vinyl

A une certaine époque, le toit des voitures – c’était très chic – s’est couvert de vinyl. Mode incompréhensible, suivie ou précédée de près de celle des véhicules bicolores.

C’est drôle les modes. Surtout lorsqu’il s’agit de voitures, parce qu’elles laissent des traces pendant pas mal d’années. Mais surtout, c’est tellement vite démodé !