jeudi 9 octobre 2008

Quartier

On était d’abord de notre quartier, avant d’être de notre ville !

Ceux des Grands prés y avaient leur école, et leurs amis. Ceux de Floriheid ne fréquentaient pas ceux d’Outrelepont. Et ceux de Montbijou ne jouaient pas au foot avec ceux de la place Albert.
Pas par rejet. Logiquement, tout simplement. Puisqu’il suffisait de sortir dans la rue, et de voir qui s’y trouvait. De commencer à jouer. Et de terminer quand il se faisait tard ou que nos parents nous appelaient.
Plus tard, lorsque nous étions trop grands pour les petites classes du quartier, nous montions à l’école du centre ville. Et nous faisions d’autres amis. Mais pas trop loin tout de même. Dix minutes de vélo maximum. Et ces amitiés ne profitaient pas de l’imprévu des rencontres d’avec les proches. On les réservait aux mercredi ou au samedi après-midi. Et il fallait prendre rendez-vous ou risquer de trouver porte close.
Plus grands encore, il nous arriverait d’ouvrir le cercle plus encore. De nous faire des copains à Bévercé par exemple. Et d’y passer des journées entières. D’explorer avec eux la grotte des nains et les bords de la Warche. Mais là, notre petite moitié libre d’un mercredi ou d’un samedi n’y aurait pas suffi. Nés avec l’été, ces copinages n’y survivaient pas. Nous ne reverrions probablement jamais ceux avec lesquels nous avions passé tant d’heures palpitantes.

mercredi 8 octobre 2008

Pronostic Prior

Chaque semaine, oncle Joseph remplissait avec application sa grille Prior.

En fait, Oncle Joseph n’était pas plus notre oncle que tante Catherine n’aurait eu un quelconque lien de parenté avec nous. C’étaient juste de ces parentés de quartier, dans lesquelles les liens d’affection sont parfois plus fort que ceux du sang. De ces délégations d’autorité et d’amour que l’on se croyait forcé d’authentifier en leur attribuant une place dans l’ordre familial.
Chaque semaine, oncle Joseph reprenait donc ses opérations cabalistiques : inscrire de mystérieuses croix sur son bulletin de participation. Jouer ses quelques francs en espérant les récupérer à la fin du week-end, pour pouvoir les rejouer la semaine suivante. Sans aucune passion ni espoir de fortune – il n’y avait pas grand-chose à gagner il me semble -. Mais avec une application et une discipline sans faille. Comme un devoir dont eut dépendu la bonne rotation de la terre : impératif et répété, mais aussi partagé avec tant d’autres que son résultat ne fait plus aucun doute, ou que la fatalité de sa fin ne fasse plus vraiment peur.
Le pronostic était comme le miroir de la marâtre de Blanche Neige : « Pronostic, joli pronostic, dis moi s j’ai encore un tout petit peu de chance et d’habileté… » Un miroir un peu fatigué, qui toujours aurait répondu que s’il y en avait peut être de plus chanceux, on n’était finalement pas si mal. Un peu comme le miroir de votre salle de bain, si vous voyez ce que je veux dire !

mardi 7 octobre 2008

ORTF

RTB, Eurovision, ORTF ! C’était notre trilogie télévisuelle.

Pour la RTB, n’en parlons pas. On connaissait nos émissions – pas mal de choses se faisaient d’ailleurs encore en direct – et quand on s’y était habitué, on en avait pour des années : Feu vert, A vos marques, Bonhommet et Tilapin, Visa pour le monde, Chanson à la carte, le Jardin extraordinaires,… Réalisateurs et animateurs devenaient des familiers que l’on retrouvait avec plaisir, semaine après semaine et génération après génération.
L’Eurovision, c’était pour les grandes occasions, les grands événements. Les Jeux sans frontières faisaient l’exception – pas assez sérieux – mais pour le reste, le logo et la musique de l’Eurovision annonçaient du solide. Tout juste moins solennel que les retransmissions de la conquête spatiale, annoncées par le thème de « Zarathoustra » de Wagner.
Dans ce contexte, le logo de l’ORTF avec ses orbites enlacées nous annonçait l’aventure : Thierry la fronde, Yao, Belle et Sébastien. J’ai l’impression – mais je me trompe sans aucun doute – que tous les feuilletons originaux des années soixante portaient le label de l’ORTF.

lundi 6 octobre 2008

Martelange

La Belgique avait son Liechtenstein, son rocher de Monaco : Martelange !

C’était avant l’autoroute… quand la nationale 4, déroulait interminablement ses kilomètres dans la campagne ardennaise. Quand les files de camions faisaient craindre – et accomplissaient parfois – le pire dans les villages traversés. Martelange était le village le plus étrange que l’on pouvait imaginer. D’un côté de la route – vers la Belgique – la vie de tous les jours, les maisons modestes qui bordent toutes les routes nationales. De l’autre – et le Luxembourg – une suite de pompes à essence, de magasins d’alcools et de tabac.
Ouvrir un commerce du mauvais côté – belge – de la route, aurait nécessairement signifié la ruine, après des jours et des semaines d’ennui dans un magasin que personne ne viendrait jamais visiter.
Martelange, c’était le tax-free shop du peuple, qui ne prendrait peut-être jamais l’avion. Le lieu de la transgression des lois et des règlements – allez, on va quand même prendre trois bouteilles d’alcool de prune, même si la loi nous permet seulement d’en importer une – pour les fonctionnaires paisibles et d’habitude obéissants. Le point de départ de tous les héroïsmes et d’un road movie qui ne s’achèverait que la porte de leur domicile close. Suants, tremblants, passant leur nervosité sur les enfants inconfortablement entassés depuis des heures sur le siège arrière, à l’idée que les douaniers pourraient faire un contrôle inopiné. Ou pire… les avoir pris en filature !
La cigarette fumée le lendemain. Le petit verre d’alcool dégusté lors de la prochaine fête de famille n’auraient pas seulement l’avantage de peser moins lourd sur le portefeuille. Ils seraient encore bien chargés de l’adrénaline de ces moments aventureux. Et n’en seraient que plus savoureux !

dimanche 5 octobre 2008

Matoufet

Le matoufet : je l’ai longtemps préféré sucré, avant de reconnaître qu’il était incomparable avec du lard.

Le matoufet ? Aussi appelé « mate faim » dans certaines régions de France, même si les Wallons prétendront en avoir l’exclusivité. Entre la crêpe et l’omelette. Œufs, farine, lait. Ca c’est pour la base. Sur laquelle tout le monde s’entendra.
Quant aux proportions, il y a autant d’écoles que de cuisiniers. Mais tout le monde le prétend : « ma mère – mon père dans certaines versions – faisait le meilleur matoufet de ce côté-ci de la galaxie ! »
Question de finition enfin : certains l’aimaient sucré, évoquant furieusement la crèpe ; et d’autres le préféraient au lard, beaucoup plus proche dans ce cas de l’omelette.
Et très étrangement, cette cuisine particulièrement simple et économique prenait des airs de fête : peut-être parce qu’elle survenait ces soirs d’hiver où nous nous étions tellement dépensés dans nos jeux à l'extérieur.

samedi 4 octobre 2008

Livres d'ecole

Prenez votre livre de lecture à la page 154.

L’enseignement ne se concevait pas sans les livres d’école. Et le petit frère apprenait le français dans le même livre de français que son ainé, les mathématiques dans le même livre de mathématique que sa grande sœur, et l’on retrouvait parfois avec plaisir dans l’étude d’un cadet quelques échos de moments déjà bien lointains.
S’il ne fallait en retenir que trois, mon tiercé gagnant dans cette lecture imposée n’est pas bien difficile à établir.

D’abord mon premier livre de lecture, et sa première phrase : « Maintenant je vais à l’école. Je sais lire et écrire. J’ai de beaux livres d’école, et de beaux cahiers. » Ces quelques phrases, lues en septembre 1964, je ne peux pas les oublier.

Ensuite l’un ou l’autre vieux livre d’histoire, à la couverture toilée, et aux gravures d’un autre âge, qui trainait encore dans certaines classes de primaires. Clovis y fracassait le vase de Soisson avec sa francisque : nous attendions qu’un deuxième coup fracasse le crane du guerrier pris en faute. Gabrielle Petit faisait courageusement face au peloton d’exécution qui allait la mettre à mort. Les Ménapiens – vous ai-je dit que pour certains de nos professeurs, c’était le surnom qu’ils donnaient aux Flamands ? – pêchaient paisiblement sans quitter leur habitation sur pilotis. Le roi Albert, accompagné de la reine Elisabeth, visitait le front de l’Yser.
Ils sentaient la poussière. Ils avaient un peu trop vécu dans les mains de trop d’élèves. Mais ils ne nous en étaient que plus chers.

Enfin, en secondaire, de très brillants manuels de français, qui nous ouvraient au plaisir de la littérature. Combien d’heures d’étude n’avons-nous pas passées à faire des lectures qui ne seraient jamais au programme. Juste pour le plaisir de la découverte. Et à cause de la magie de la langue.
Ainsi, je n’oublierai jamais le jour où j’y ai découvert ce texte, retrouvé depuis sur Internet.

Fourbissez votre ferraille
Aiguisez vos grands couteaux
Fourbissez votre ferraille
Quotinaille, quetinailles,
Quoquardaille, friandeaux,
Garsonaille, ribaudaille,
Laronnaille, brigandaille,
Crapaudaille, leisardeaux,
Cavestrailie, goulardeaux,
Viilenaille, bonhommaille,
Fallourdaille, paillardeaux,
Truandaille et Lopinaille
Aiguisez vos grands couteaux.

Fatras de Jean Molinet (1435-1507)

vendredi 3 octobre 2008

Jaquette

Mets ta jaquette, tu vas avoir froid !

Une jaquette, c’était un gilet. Et un gilet, c’était en laine. Encore un de ces mots que j’ai laissés au bord de la frontière en quittant la maison familiale. Jaquette : personne ne dit ça ici. Ou je ne l’ai plus entendu. Gilet ? Par ici, les gens ne penseront-ils pas tout de suite au costume trois pièces ? Et d’ailleurs, en ces temps de sweater, jogging, leggings, polar, porte-t-on encore de ces gilets de laine ? Les mots disparaissent en même temps que les réalités qu’ils représentent.