vendredi 21 décembre 2007

Frontiere

A la frontière, le douanier levait la barrière et nous indiquait, d’un signe paresseux, que nous pouvions passer.

Au pire, s'il voulait faire du zèle, il y allait de la question rituelle "Rien à déclarer ?".
Une frontière n’était pas qu’un trait sur une carte, un panneau – ou un changement subtil - de signalisation sur une autoroute. Nous n’étions pas alors européens, mais belges, allemands, luxembourgeois, néérlandais ou français…
Le poste frontière avait cet aspect désuet qu'on ne retrouve vraiment que dans les albums de Tintin. Et entre Belgique et Allemagne on pouvait croire franchir le passage entre la Bordurie et la Syldavie.
Le même batiment sans éclat. La même barrière stupide. Une simple perche de sapin, levée par la force humaine… à une époque où tout ne devait pas être électrique, motorisé, télé ou radio commandé. Partout comme une copie d'un même douanier qui veut en faire le moins possible et rêve déjà d'une pension aussi paisible que l'aura été sa carrière.

jeudi 20 décembre 2007

Ecole le samedi

Nous allions à l’école du lundi au samedi. Seulement le matin, le mercredi et samedi.

Les week-ends sans voitures actuels de certaines de nos villes ne manquent pas de nous faire penser aux dimanches sans voitures de l’hiver 73-74. A la grande crise pétrolière qui eut lieu alors.
Cet hiver là, au lieu de quitter l’internat le samedi midi, c’est le vendredi soir que nous partions. Le pétrole était rare. Le dimanche, les autoroutes étaient envahies de cyclistes ou de skieurs parfois. Une vraie crise. Des rumeurs de guerre. Une tension internationale extrème.
Je crois me souvenir qu’en septembre suivant notre ministre de l’éducation nationale s’était rendu compte qu’il était effectivement possible d’organiser la semaine sur 5 jours. Mais il faudra encore quelques années avant que le ministre de l'emploi et du travail à son tour prenne ses mesures en faveur de nos parents.
La crise pétrolière nous avait offert ce que l’on appellerait plus tard le week-end.

mercredi 19 décembre 2007

Digue

Soudain, il y avait devant nous la digue… et derrière la digue, la mer !

La mer était si loin alors.
Mais, même proche, il restait la digue à franchir.
Il y avait depuis longtemps quelque chose dans l’air. Une tension. De l’iode peut être. Ou bien une mouette. Une nature particulière du vent. A pied ou en voiture, la digue était comme une page à tourner. Que caractère par caractère on déchiffre et qui subitement révèle le mystère du récit.
La mer était subitement là, et l’histoire faisait disparaître le livre qui la retenait. La digue, on était dessus mais on ne la voyait plus, on ne vivait plus que la mer, le vent, l’iode, le ciel…
Même la dune n’aura jamais sa rigueur à contenir notre patience.
La digue est à la mer ce que le suspense est au récit.

mardi 18 décembre 2007

Cadran

Le cadran du téléphone était rond.

Le téléphone, c’est toute une histoire. Un objet à part dans la maison.
Et le cadran du téléphone, quelque chose qui a fait partie de l’histoire.
Arrivé après la manivelle, numéroté de 1 à 0, en passant par le 9. Composer un numéro, c’était faire tourner le cadran d’autant de positions.
Le geste était tellement familier que, plusieurs dizaines d’années plus tard, mon index droit en conserve encore la mémoire. Sans parler du son, si typique, que produisait le mouvement.
Avec le cornet, le cadran faisait le téléphone, l’un ou l’autre suffisant à le représenter.

lundi 17 décembre 2007

Baise

Je lui ai donné une baise …

La baise… un si joli et si doux mot alors… si vulgaire aujourd’hui !
Au moment de quitter une vieille tante - et avec votre esprit mal tourné et votre langage d’aujourd’hui vous pensez déjà à quelqu’un d’autre que ma tante Hortense ! – elle n’aurait pas manqué de dire «Allez fi, donne moi une baise !».
Faudra-t-il le dire avec notre accent ? belge, pour être enfin compris ?
Une baise de ma mère, le matin avant d’aller à l’école. Une baise à mon père avant d’aller me coucher. Une baise de l’oncle ou de la tante, si vieux, si presque mort que toucher de si près un peu de vie ne peut que leur faire énormément de bien…
Bécot, baiser, baise… c’est du pareil au même. Un mot si doux, la caresse des lèvres.

dimanche 16 décembre 2007

Abat-jour

J’ai fait un abat jour au cours de travaux manuels. Encore plus laid que celui offert par la tante Germaine.

Un cadre de fil de fer… un bout de tissus… quand on ne parlait pas encore d’halogènes ni de luminaires… Il parait que les nazis en faisaient en peau humaine. Du meilleur goût évidemment. Mais il semble bien qu'en matière de goût ce ne soit ni du côté des nazis, ni de celui des abat jour qu'il faille aller chercher.
Et côté éclairage n’oublions pas non plus le lustre de cristal… Et, pour le sommet du kitch, les fausses bougies… avec leurs ampoules torsadées pour faire plus vrai…
Dans ce temps là, c’était si laid, et si facile. Essayez maintenant de penser l’éclairage de votre maison ou de votre appartement.

samedi 15 décembre 2007

Marechal ferrant

Chaque matin et chaque soir, et sans nous arrêter sur le temps de midi, nous passions devant la forge, aux bords de la Warchenne. Eté comme hiver, les portes grandes ouvertes, résonnait du rythme du marteau sur le fer rougi, du chuintement du soufflet, exhalait l’odeur de la corne brulée et du crotin frais.
Il y avait souvent des chevaux au ferrage.
Deux ou trois fermiers irréductibles, les débardeurs, les propriétaires de chevaux de manège et de promenade faisaient que cette activité était pour nous comme quotidienne.
D'un fer droit parfois, en général d'un fer préfabriqué, le forgeron modelait la chaussure qu'il fallait. Nous tenant juste devant la porte, nous ne perdions pas un instant ni un détail de la scène.
Et, alors que le spectacle se répétait pratiquement à l'identique, nous étions la prochaine fois aussi nombreux et aussi attentifs. Captivés chaque fois par un rituel quasi religieux.